Voici le reportage vidéo à cartographier !
https://www.youtube.com/watch?v=cvGfkuBAdi8&ab_channel=ARTE
Ce reportage a été entièrement retranscrit par ARTE pour l’association Concours Carto. Voici donc le texte intégral du documentaire :
Cáceres est une commune de l’ouest de l’Espagne dont la vieille ville est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. À deux pas de là se trouve l’un des plus grands gisements de lithium d’Europe.
Non à la mine !
Non à la mine !
Non à la mine !
Le sujet de l’exploitation du métal rare creuse un fossé profond au sein de la population.
L’économie de Cáceres est au point mort.
Mais on ne veut pas se sacrifier pour la relancer.
Comment vous voulez faire alors ?
Les opposants au projet craignent un impact considérable sur l’environnement.
Les habitants ne veulent pas de la mine. On refuse de voir notre montagne disparaître au profit d’une entreprise étrangère. Ce serait aberrant.
Dans cette oasis de verdure proche de la ville, une compagnie minière souhaite s’installer pour extraire le fameux or blanc. Des élus locaux espèrent ainsi dynamiser la croissance de la région.
Certaines personnes veulent aussi continuer à vivre ici. Pour ça, elles ont besoin d’un travail. On doit tous faire en sorte que notre ville devienne plus attractive sur le plan industriel.
La Sierra de la Mosca, dans la communauté autonome de l’Estrémadure. Véritable poumon pour Cáceres, la montagne où les locaux aiment passer leur temps libre recèle oliviers et chênes verts centenaires. C’est également le domaine des bergers et de leurs troupeaux. Gonzalo Palomo Guijarro, 41 ans, est professeur en médecine vétérinaire et agriculteur biologique. Lui et son collègue Miquel élèvent des mérinos noirs, une race ovine en voie de disparition.
Le paysage est magnifique, idéal pour s’y promener. Je n’ai pas de mots pour décrire le bonheur qu’on ressent ici, ni à quel point la nature est précieuse. C’est notre héritage culturel. On peut profiter de cet endroit idyllique tout près de Cáceres. C’est le paradis pour les citadins.
Gonzalo loue un terrain de 50 hectares. Il a misé sur l’agriculture durable et produit sa propre huile d’olive bio.
Je vais bien finir par en attraper un.
Le berger possède environ 200 moutons. Il vend leur laine dans les marchés de la région.
La finesse de sa toison est un gage de grande qualité.
C’est ici, à des centaines de mètres de profondeur, que se situe l’un des plus importants gisements de lithium d’Europe, découvert cinq ans plus tôt par l’entreprise australienne Infinity Lithium. Le métal blanc est une matière première indispensable à la transition écologique. Seulement, l’ouverture d’une mine aurait pour conséquence l’expulsion de Gonzalo et de ses bêtes.
À cet endroit devrait se trouver le terril. Tout le travail que nous avons investi dans les oliviers aurait été en vain. Les gravats enseveliraient ce paysage vieux comme le monde. Ce serait une perte irrémédiable.
La construction implique de creuser un immense cratère. En contrepartie, la compagnie minière a fait des promesses colossales : 300 millions d’euros investis dans la région et 1 000 emplois créés.
C’est une vidéo réalisée par l’entreprise. Dis-moi ce que tu en penses.
Conscients de nos responsabilités, nous avons élaboré un plan durable dans le respect de la nature au niveau local et qui garantit la protection de l’écosystème. La Commission européenne soutient ce projet industriel. Il ne présente aucun danger environnemental ou sanitaire. Il permettra avant tout de placer Cáceres au rang d’acteur central de la transition énergétique tournée vers les véhicules électriques.
Ils vendent très bien leur projet en mettant l’accent sur les nouveaux emplois et la future production de voitures électriques grâce au lithium.
Ça, ils n’en parlent pas. Ils évoquent seulement les 1 000 postes créés.
Ils n’arriveront pas à embaucher tant de gens que ça. C’est cruel de faire miroiter ça à une population fortement touchée par le chômage.
800 mètres à vol d’oiseau sépareraient le bord du cratère de la vieille ville de Cáceres. Antonio Ibarra est architecte et conseiller municipal. Son parti libéral, Ciudadanos, est le seul à assurer que la mine donnera un nouvel essor à l’économie locale. L’homme politique de 43 ans sait mieux que personne à quel point il est compliqué de rester vivre dans sa ville natale. La moitié de ses amis n’y ont pas trouvé de travail et ont dû déménager.
La superficie de l’Estrémadure est équivalente à celle des Pays-Bas. Mais ici, il n’y a qu’un million d’habitants contre 17 millions là-bas, preuve que la région est peu peuplée. L’activité économique de Cáceres repose principalement sur les services. Les emplois sont dès lors rares. C’est pour ça qu’ils sont nombreux à avoir quitté la ville.
En Espagne, l’Estrémadure a la réputation d’être la maison des pauvres depuis toujours. Autrefois surnommée la terre sans pain, la région affiche un taux de chômage de 18 %, au-dessus de la moyenne espagnole. Antonio met en cause l’inefficacité de la politique économique et environnementale.
Le problème, c’est l’écologisme excessif, qui ne concerne pas seulement Cáceres, mais toute l’Estrémadure. Il existe des zones de protection spéciales ou ZPS à destination des oiseaux où les projets de développement économique peuvent difficilement être mis en œuvre alors qu’on en a urgemment besoin. Sans ça, on ne pourra pas empêcher les gens de partir ni faire baisser les chiffres du chômage.
La population de la province de Cáceres diminue. En 10 ans, elle a perdu 15 000 habitants. Antonio place ses espoirs dans le projet d’Infinity Lithium. La compagnie a implanté une filiale dans la ville avec, à sa tête, Ramón Jiménez Serrano. Sa mission : faire adopter un compromis par lequel seule une mine souterraine serait construite sans cratère.
L’usine de traitement du lithium est le gros point fort de notre nouvelle proposition. Tu peux la voir ici. Elle fonctionnera à l’énergie solaire grâce à des panneaux photovoltaïques. Ce sera la première mine européenne à transformer le métal directement sur place.
Mais je voulais savoir quel sera l’impact de ce nouveau concept sur le paysage.
Regarde là, cette entrée sera la seule partie visible. C’est une petite porte qui mène au cœur de la montagne, pas plus grande que le bout d’un tunnel. Il n’y aura pas de mine à ciel ouvert.
Infinity Lithium prévoit un rendement annuel de 15 000 tonnes du précieux métal, assez pour la fabrication d’approximativement un million de véhicules électriques.
Ce gisement est d’autant plus important qu’il s’agit du deuxième plus grand site d’Europe. Il nous permettra de limiter notre dépendance envers les États hors de l’Union européenne. Les usines automobiles n’auront plus à fermer leurs portes, comme c’est le cas depuis la pénurie des semi-conducteurs, principalement importés de pays non européens.
Le filon de lithium de la Sierra de la Mosca est d’une valeur inestimable pour l’Europe. Mais même sans le cratère, Gonzalo et son ami Manolo Sánchez restent opposés à ce projet. L’homme de 73 ans a ses raisons. Des employés de la compagnie minière sont venus abattre des chênes verts sur son terrain pour prélever des échantillons du sol.
Je leur ai dit qu’ils n’avaient aucun droit de pénétrer chez moi et qu’avant de couper mes arbres, ils avaient intérêt à vérifier à qui ils appartiennent. Je les ai prévenus que j’appellerais la police s’ils n’arrêtaient pas dans la seconde.
Bien qu’il ait chassé les intrus, la peur d’être expropriés plane toujours.
Cette vallée, c’est tout pour moi. Je serais directement impacté par la construction de la mine puisque je ne pourrais plus vivre ici. Je serais le premier à devoir abandonner ma maison parce qu’ils réquisitionneront mon terrain.
Gonzalo et Manolo craignent des conséquences environnementales s’étalant sur des années. L’extraction du lithium suppose une consommation considérable d’eau pendant 20 ans. Dans cette région où l’or bleu est déjà rare, le niveau de la nappe phréatique pourrait chuter fortement à moyen et à long terme.
Sous Cáceres et ses environs se trouve ce qu’on appelle le Calerizo. C’est une structure karstique souterraine poreuse, un phénomène exceptionnel. La commune vit grâce à cette immense réserve d’eau. Si elle s’épuise à cause de la mine, tout risque de s’effondrer. Ça pourrait provoquer l’écroulement de certains bâtiments, voire l’affaissement de la vieille ville.
Manolo a grandi et a fondé sa famille dans cette demeure. Il aimerait que ses enfants et ses petits-enfants puissent vivre ici tranquillement à l’avenir.
Tu vois, ça, c’est la maison où on est. Je suis là, à cueillir des châtaignes.
Il souhaite à tout prix protéger cette propriété passée de génération en génération.
Ils peuvent nous promettre de l’argent, mais notre trésor est inestimable. Je ne peux pas chiffrer sa valeur. Comment veux-tu mettre un prix sur la nature ? Peu importe ce qu’ils me proposent pour détruire tout ça, ça ne m’intéresse pas. Je n’accepterai rien de leur part.
Les opposants au projet ont lancé l’initiative citoyenne Salvemos la Montaña, Sauvons la Montagne. Selon leur porte-parole Maribel Rojo, c’est grâce à cela que les plans originaux de la compagnie minière ont été abandonnés. En 2019, les autorités ont interdit à Infinity Lithium de continuer à sonder le sol. Un recours a été déposé, mais pour le remporter, l’entreprise australienne a besoin de la majorité au conseil municipal. Pour la biologiste de 54 ans, c’est loin d’être le cas.
On n’avait jamais vu une telle mobilisation ici. Nous avons formé une chaîne humaine qui allait de la chapelle de montagne jusqu’à la place du marché, en traversant toute la vieille ville. C’était très impressionnant.
Les manifestations ont eu raison du cratère. Cependant, en mars 2022, la compagnie minière a présenté la nouvelle mouture du projet aux membres de l’initiative pour leur faire changer d’avis.
Ils reviennent maintenant à la charge avec un projet de mine entièrement souterraine. Ils nous ont tout expliqué dans les moindres détails, mais on n’a toujours pas vu les plans. Ce qu’on sait, c’est qu’ils s’inspirent d’une exploitation existante à Huelva. On a effectué des recherches, et c’est pareil à chaque fois : la biodiversité est affectée et ils finissent tout de même par construire l’usine de traitement chimique comme c’était prévu dans la première proposition.
Jusqu’à présent, leur engagement a permis de sauver la Sierra de la Mosca. Presque tous les partis politiques représentés au conseil municipal ont fini par se ranger du côté des défenseurs de l’environnement, avec 24 voix sur 27 opposées au projet. Entre-temps, la région s’est aussi déclarée contre l’ouverture de la mine. Cependant, Ramón Jiménez Serrano peut compter sur le soutien de Bruxelles et de Madrid. Le lithium est en effet une ressource stratégique pour l’Union européenne depuis longtemps.
Cáceres était une ville minière, mais les bénéfices ne lui ont pas profité, et elle n’a jamais connu l’industrialisation. Les habitants pensent que l’histoire se reproduit, que ça se passera comme au 19e ou au 20e siècle. Ce n’est pas du tout le cas. La mine permettra à la ville de s’industrialiser et lui apportera la prospérité. Les gens ne l’ont pas encore compris. Nous devons mieux le leur expliquer.
Dans les années 70, c’est un gisement d’étain qui était exploité dans la Sierra de la Mosca. En témoignent les bâtiments désaffectés et les anciennes galeries. Sur les plans originaux, c’est ici que devait se trouver l’immense cratère. Le responsable de la filiale d’Infinity Lithium promet désormais de protéger la nature environnante.
Le nouveau complexe n’aurait aucun impact en surface. La montagne serait toujours là.
Une mine souterraine est un concept entièrement différent et d’une grande importance. Il faut clairement présenter les avantages et les inconvénients aux citoyens et aux politiciens de Cáceres.
C’est ce qu’on souhaite. On organise des sessions d’information publiques pour pouvoir échanger avec tout le monde.
Pour Antonio Ibarra, les arguments en faveur du projet modifié l’emportent, du moment que le respect des contraintes environnementales est garanti par rapport d’experts. Le conseiller municipal espère faire changer d’avis ses concitoyens.
La plupart des manifestations sont passionnées et ne sont pas fondées sur la raison. Une grande partie des habitants veut pouvoir vivre, travailler et s’épanouir ici. Notre but est de faire de Cáceres une ville industrielle, une ville qui ait de l’avenir.
Ramón Jiménez Serrano veut conclure une alliance avec les entrepreneurs de la région, car ils ont déjà de l’expérience dans les énergies renouvelables et qu’ils s’intéressent à ce genre de grand projet industriel.
La mine se trouverait entre les tours de transmission et ce mont. D’ici, on ne la verra pas. Il n’y aura pas de gros travaux d’extraction ni de puits à ciel ouvert. Avec notre projet, Cáceres deviendrait un modèle à suivre dans le monde entier.
Nous devons repenser notre politique énergétique, surtout maintenant que notre dépendance envers les matières premières russes se fait sentir et que la pandémie nous a mis à l’épreuve. Le lithium est une chance pour Cáceres. C’est le pétrole du 21e siècle. On pourrait se tourner vers l’industrie automobile et vers les batteries électriques et tous les services qui les accompagnent. Ce sont toutes ces choses qui assureront la croissance économique de la ville, pas seulement la mine.
Tout à fait. On veut placer Cáceres au centre de l’industrie du lithium.
Les hommes d’affaires Pedro Galindo Verdasco et Javier Carbonell Espín pressentent qu’il s’agit là d’une chance unique de faire de l’Estrémadure la première région européenne dans le secteur de l’or blanc.
Je suis emballé par ce projet. Je crois que ce serait un désastre s’il tombait à l’eau. Nous devons saisir cette opportunité. Le lithium est là. Soit on l’exploite, soit on le laisse et on renonce à l’essor possible grâce à la mine.
La mine attirerait l’activité industrielle à Cáceres. C’est un développement majeur pour la ville et pour la région. On ne comprend pas pourquoi les gens réagissent avec tant de véhémence et de scepticisme.
La population est divisée. Les uns veulent relancer l’économie par l’industrialisation, les autres aimeraient emprunter une voie plus durable en s’appuyant sur le tourisme ou l’agriculture. L’initiative citoyenne tente de rallier les indécis à leur cause grâce à diverses actions et à des stands d’information. Maribel Rojo insiste sur les risques que comportent encore les nouveaux plans.
Je n’arrive pas à croire que la compagnie minière revienne à la charge.
Ils essaient encore de convaincre les gens. Ils ont montré des photos de mines souterraines, mais pas de toutes les structures nécessaires en surface. Et il y a pire. Dans une petite zone comme la nôtre, ça pourrait être extrêmement dangereux. Les galeries pourraient s’effondrer.
Et ils ne respectent jamais leurs promesses.
Maribel estime que la santé des 100 000 habitants de Cáceres est en jeu. L’exploitation de la mine produirait énormément de poussière et polluerait l’air.
Imaginez, le site se trouve à 800 mètres de cette place. Ils vont extraire tout le lithium et partir avec les bénéfices. Et c’est une entreprise étrangère une fois de plus. C’est aberrant. Ils ne nous auront pas avec l’argument de l’emploi.
Néanmoins, tous ne partagent pas l’avis des militants. Daniel Nieto Carrasco engage une discussion avec Maribel. Il vient d’un petit village de l’Estrémadure et étudie les sciences administratives à Cáceres.
Ils vont épuiser la montagne de son lithium et plier bagage avec les recettes.
Et les entreprises de nettoyage, elles ne sont pas étrangères, elles ?
Non, mais est-ce que tu t’es demandé ce que serait le projet si c’était la ville qui le menait à bien dans l’intérêt des citoyens ? L’argent reviendrait à la commune. Il y aurait quand même de nouveaux postes créés et la montagne ne disparaîtrait pas. Tu n’arrives pas à comprendre ça ?
Si, si, mais…
Et sache que la plupart des hommes d’affaires qui sont pour ne viennent pas d’ici, donc le profit que feront les entreprises espagnoles grâce à la mine ne sera pas non plus réinjecté dans la ville.
Ce patriotisme régional est dépassé. On est au 21e siècle. La Catalogne n’est pas non plus souveraine. Ça ne marche pas comme ça.
Je t’arrête tout de suite, on n’est pas politisé, on n’appartient à aucun parti.
Mais vous voulez que les habitants de Cáceres prennent les décisions qui les impactent ? Dans ce cas, la Catalogne devrait faire pareil, non ?
On ne milite que pour les sujets qui concernent notre ville.
Alors seule Cáceres peut décider de l’implantation de la mine ?
Il vient d’un village reculé et il a des amis à Plasencia, il ne comprendra jamais. Il n’y a que les gens originaires de cette ville qui savent ce que signifierait l’ouverture d’une mine à 800 mètres d’ici. C’est aussi simple que ça.
La fierté locale se heurte à l’expansion internationale d’une grande entreprise. Les personnes qui cautionnent les plans de la compagnie australienne se font presque accuser de trahison par les habitants de Cáceres.
Ce projet va attirer beaucoup d’autres investisseurs. Aucune entreprise ne viendra s’implanter dans la ville si on ne la rend pas attractive. C’est un désert industriel. L’économie de Cáceres est au point mort.
Mais on ne veut pas se sacrifier pour la relancer.
Comment vous voulez faire alors ?
On ne veut pas faire affaire avec ces gens.
Ils ne créeront aucun poste. On ne veut pas de la mine.
Regarde ça. C’est une mine souterraine qui se trouve à Huelva. Celle que compte construire Infinity Lithium à Cáceres ressemblera à ça. Là, c’est la ville. Regarde la taille du complexe, regarde son envergure.
Pour Daniel, l’initiative citoyenne n’a pas le droit de parler au nom de tous les habitants.
Leur position est extrême. Il faudrait au moins faire un sondage avant d’affirmer que la majorité, ou en tout cas une grande partie de la population s’oppose à la mine. À ce moment-là, on aurait des résultats officiels. Parce que moi aussi je pourrais déclarer que tant et tant de personnes y sont favorables alors que je n’en ai pas la moindre idée.
Daniel a 20 ans et vit en colocation avec deux amis originaires de son village. Il considère l’implantation de la mine comme une grande opportunité.
Salut !
Salut ! Comment s’est passée ta journée ?
C’était compliqué. J’étais sur la place de la mairie, et franchement, c’est impossible de discuter avec les opposants. Je n’y arrive pas. On fait tous les trois les mêmes études et on se connaît depuis toujours. Il y a du travail dans l’administration. Si l’un de nous décroche une place, l’avenir des autres est assuré.
En Estrémadure, le taux de chômage des jeunes est de plus de 45 %. Les plus chanceux obtiennent un contrat précaire à durée déterminée.
Je postulerais à un poste administratif si les garanties sociales et les garanties habituelles pour la protection de l’environnement sont respectées. Pourquoi les militants, qui ont déjà un bon métier, croient-ils pouvoir m’empêcher de sécuriser mon avenir ?
Les étudiants de l’Estrémadure ont peu de chance de trouver un travail correctement rémunéré dans leur région. Dès lors, ils sont obligés de partir à Madrid, Barcelone ou à l’étranger. Daniel est inquiet de voir de plus en plus de ses amis s’y résoudre.
Les jeunes sont apathiques, ils n’ont pas envie de faire quoi que ce soit, et je ne parle pas de la politique ou du social. Ma génération ne souhaite plus s’impliquer. La fac propose une tonne d’activités en parallèle des cours comme des interventions, des congrès, des conférences, souvent en ligne, mais elles ont peu de succès. Le chômage est un gros problème pour nous, les jeunes de Cáceres. Et pourtant, on ne s’investit pas pour trouver une solution.
En comparaison à d’autres grandes villes, Cáceres est de plus en plus à la traîne. Gonzalo considère qu’il faut désormais revenir à l’agriculture traditionnelle pour pallier cette situation. Les producteurs de la région sont présents sur un marché bio dans le centre-ville. Ils veulent exploiter ce filon et ainsi créer des emplois durables pour les générations futures.
Les produits locaux, c’est l’avenir. C’est ce qui faisait tourner l’économie à l’époque. Ici, on vivait grâce aux champs qui bordaient le fleuve, aux oliveraies, aux suberaies et aux forêts de chênes de la Sierra de la Mosca. Et ces 3 700 hectares sont menacés par le complexe minier.
Pour le père de famille, il est absurde de détruire et de polluer la nature dans le seul but de produire un million de voitures électriques. Une fois de plus, on sacrifie la raison et l’écologie en faveur de la croissance, du profit et de la cupidité.
De nos jours, on pense surtout à optimiser notre temps pour vivre le plus vite possible, sans réfléchir aux conséquences sociales, écologiques et même économiques de nos actions. C’est très clair. Parce qu’en parallèle, notre avenir nous semble sans issue. On traverse une crise environnementale sans précédent. D’ici 30 ou 40 ans, on ne pourra plus mener une vie saine. Ici, c’est déjà notre quotidien. Voilà la date limite imposée par le changement climatique.
Une ville, deux manières d’envisager son avenir économique : voilà les implications de la discorde autour de la mine. C’est également le thème du débat entre Gonzalo et Antonio Ibarra, arbitré par Inma Salguero, présentatrice d’une émission de radio locale.
Notre discussion aujourd’hui portera sur la construction potentielle d’une mine de lithium sur le site de Val de flores.
Il faut arrêter de parler du lithium comme de l’or blanc du 21e siècle. On ne peut pas capituler comme si nous étions de pauvres petits Gaulois face à l’invasion romaine. Ce n’est pas ce qui se passe. On ne va pas courber l’échine juste parce que le reste de l’Europe veut exploiter ce lithium.
Gonzalo, je crois que la ruée vers l’or est passée. On ne veut plus extraire le lithium quel qu’en soit le prix, c’est déjà une victoire pour les habitants de Cáceres. Par ailleurs, la guerre en Ukraine nous a ouvert les yeux. Elle nous a montré que nos dépendances dans le domaine des énergies nous impactent fortement. Elles nous mettent en porte à faux sur le plan géopolitique. Le lithium est une matière première capitale. À mon avis, l’Europe n’a pas très envie de s’en remettre à la Chine ou à d’autres pays non européens pour s’approvisionner.
Est-ce que tu irais jusqu’à dire que Cáceres s’en sortira sans mine de lithium ?
En tout cas, pas à l’endroit repéré par la compagnie minière. C’est plus logique d’utiliser les ressources naturelles de façon durable. Il faut voir plus loin que le bout de son nez et penser aux générations futures. Extraire le lithium, c’est contre-productif, voire suicidaire.
Tout nouveau projet industriel ne peut que profiter à Cáceres, y compris la mine. L’industrialisation de la ville est nécessaire. On ne peut pas vivre uniquement du secteur tertiaire. Non, on a besoin de l’industrie.
Antonio Ibarra ne voit pas d’alternative viable à l’exploitation du lithium. Pour cette région en crise, il est vital d’investir dans l’industrie du véhicule électrique.
On ne reproduira pas un système colonial où nous resterons pauvres pendant que nos richesses sont investies ailleurs. Tout le monde pourra en tirer profit, la compagnie minière d’un côté, et la ville et ses habitants de l’autre. Et ce, grâce à un réseau industriel moderne et indispensable.
Les partisans du projet ont un allié de taille, le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, qui souhaite placer son pays au rang de pionnier de l’électromobilité. Pour y arriver, il est fondamental d’avoir accès à des matières premières sur son sol, comme dans la Sierra de la Mosca. Gonzalo sent bien que Bruxelles et Madrid font de plus en plus pression et que les revendications de la population passeront au second plan.
Les habitants de Cáceres ont rejeté l’idée, mais la compagnie minière continue à vouloir extraire le métal malgré tout, tout ça parce que c’est une matière première d’une grande importance stratégique. Mais non, on parle de la terre qui se trouve sous notre ville. Les locaux sont contre. On ne peut pas toujours ignorer leur position, même s’il y a un prétendu intérêt commun à construire la mine.
Pour beaucoup, le gisement de lithium est plutôt une malédiction qu’une bénédiction. Leur seule supplique : conserver leur trésor intact.