Le photographe Charles Thiefaine est arrivé sur l’île yéménite de Socotra le 14 novembre 2021. Pendant plus d’un mois, le Français âgé de 30 ans a partagé le quotidien de jeunes habitants. Classé au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2008, ce territoire de 3 500 kilomètres carrés et de 60 000 habitants est un paradis de la biodiversité, à la faune et la flore uniques au monde, symbolisé par la présence des dragonniers de Socotra. L’arbre, une espèce emblématique de l’île, y dresse sa silhouette particulière de parasol retourné, les aiguilles pointées vers le ciel, depuis les plateaux montagneux.
Baignée d’eaux turquoise et dotée d’une biodiversité unique, l’île est un paradis au calme précaire… Du fait de sa position-clé à l’entrée du golfe d’Aden, ce territoire contrôlé par des séparatistes est l’objet de convoitises. Une menace sourde affleure dans les images du Français Charles Thiefaine, prises fin 2021.
- Un vent chaud souffle sur le plateau de Diksam où se loge la forêt d’arbres au sang du dragon. Le soleil y est suffisamment brulant là haut pour que l’oiseau enflamme son nid et renaisse de ses cendres. C’est au sommet des montagnes de Socotra que la légende du phénix puise- rait ses origines selon le géographe grec Hérodote (Ve siècle av J-C)
- Ibrahim est également originaire de Taez. Comme Mohamed il est venu trouver refuge à Socotra où chaque jour il prépare le thé au restaurant Shabwa l’île de Socotra les photos ont ete fait entre le 14 novembre 2021 et 15 décembre 2021
- A l’est de Socotra, dans la montagne de Homhill, lieu tourisitique où l’on retrouve de nombreux Adenium Obesum Socotranum où arbres bouteilles.
- A l’est de Socotra, dans la montagne de Homhill, lieu tourisitique où l’on retrouve de nombreux Adenium Obesum Socotranum où arbres bouteilles.
- Mohamed, jeune socotri, étudie l’anglais dans une université Emirati.
- Owad, pêcheur de 28 ans, lance un filet pour attraper des sardines qui lui serviront d’appâts. Tous les matins, Owad part à la pêche avec son père dans la baie de Qalansiyah à l’ouest de Socotra.
- ‘Si tu lui fais du mal, je te retrouverai et tu souffriras à ton tour », peut-on lire sur une maison de Qalansiyah, deuxième ville de Socotra, situé à l’ouest de l’île.
- Un pêcheur de Qalansiyah et soldat du Conseil de Transition du Sud (CTS) retourne chez lui après une matinée en mer. De nombreux Socotris cumulent les activités et tentent de s’assurer un revenu décent.
- Tous les matins, Owad, 28 ans, part à la pêche avec son père dans la baie de Qalansiyah à l’ouest de Socotra
- Les dragonniers de Socotra peuvent vivre jusqu’à 1000 ans. On prête à leur résine des qualités médicinales. Mais plusieurs menaces dont le réchauffement climatique pèsent sur cet écosystème fragile. En période de mousson, les tempêtes sont de plus en plus intenses et récurrentes provoquant l’apparition de cyclones qui emportent avec eux des dizaines d’arbres au sang du dragon.
- Un cargo yéménite échoué à Delisha beach, non loin d’Hadibo
L’île est aussi l’un des endroits les moins accessibles de la région. La faute à la guerre qui ravage le Yémen depuis 2014, opposant les forces gouvernementales aux rebelles chiites houthistes, les premières étant soutenues par l’Arabie saoudite et les seconds par l’Iran. Un conflit qui a disloqué le pays en une multitude de fronts et de zones d’influence. Si, après huit ans de guerre, Socotra, longtemps délaissée par les gouvernements du pays, est demeurée en marge des violences qui font rage sur le continent et relativement préservée, elle le doit en grande partie aux flots qui l’entourent.
La mer est au cœur de la vie des Socotris. Source de subsistance autant que frontière. Mais aussi ligne d’horizon des intérêts de puissances extérieures. « La mer fait vivre les habitants, dont une partie vit des produits d’une pêche de subsistance, décrit le photographe, mais c’est également une barrière naturelle infranchissable pour nombre d’entre eux. La plupart des Socotris ne quittent jamais leur île. Sauf à se rendre, pour certains, sur le continent, où il y a la guerre. » Certains des jeunes rencontrés par Charles Thiefaine ont fait le chemin inverse à la recherche d’un petit travail saisonnier et d’une vie plus paisible.
Au cœur des enjeux géopolitiques
Les eaux turquoise de Socotra suscitent aussi des convoitises. Située à l’embouchure du golfe d’Aden, à moins de 300 kilomètres de la Corne de l’Afrique et à 350 kilomètres des côtes yéménites, l’île jouxte l’une des principales voies maritimes de la planète qui commande l’accès à la Méditerranée depuis le canal de Suez et l’acheminement des hydrocarbures vers l’Europe et des produits manufacturés depuis l’Asie.
Aussi, l’île est au cœur de tous les enjeux géopolitiques. Depuis juin 2020, elle est contrôlée par les séparatistes du Conseil de transition du Sud (CTS), un groupe indépendantiste opposé à la réunification des deux Yémens, du Nord et du Sud, en 1990. Ceux-ci y ont chassé le gouvernement reconnu par la communauté internationale et soutenu par l’Arabie saoudite. A la manœuvre, un puissant allié et protecteur, l’autre puissance régionale du Golfe : les Emirats arabes unis, qui, soucieux de gagner en profondeur stratégique, ont eux aussi les yeux fixés vers la mer.
A la manière de la stratégie chinoise du « collier de perles », soit l’installation par Pékin de points d’appui le long de sa principale voie d’approvisionnement maritime vers le Moyen-Orient, les Emirats arabes unis se tracent des points d’accès le long des flux commerciaux qui entrent dans le golfe d’Aden. Parmi les plus importants d’entre eux : Socotra, où Abou Dhabi ne cesse de renforcer ses positions par le biais de ses fondations caritatives et de sa présence militaire. C’est ce territoire insulaire et aride que Charles Thiefaine a arpenté, laissant deviner en filigrane, au fil de ses images, un conflit pas si lointain.