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Voici l’article :

 

En Espagne, le Tage se meurt

 

Le plus long fleuve de la péninsule ibérique agonise, victime de la sécheresse et des transferts d’eau

 

 

Le Tage se meurt. Victime de la plus grave sécheresse des vingt dernières années et d’une politique de transferts d’eau destinée aux régions du sud-est de l’Espagne, qui vivent de l’agriculture d’irrigation intensive, le plus long fleuve de la péninsule Ibérique agonise.

« Il y a trente ans, nous avions de belles plages fluviales, les enfants s’y baignaient, se souvient Rosa Prieto, militante de l’association Rio Tajo Vivo (“Le Tage vivant”). Tout cela a été perdu. » Rosa vit à Talavera, qui, avec Aranjuez et Tolède, est l’une des principales villes arrosées par le fleuve « dont l’écosystème est devenu celui d’un lac, car l’eau ne coule plus, ce qui a entraîné de profonds changements dans le paysage, notamment dans la faune et la flore. Cet été, nous n’avons jamais eu autant de moustiques », raconte-t-elle.

La situation est chaque semaine plus préoccupante. Selon la Confédération hydrographique du Tage (CHT), les réserves des retenues d’eau atteignent à peine 292 hectomètres cubes, ce qui équivaut à 11,8 % de leur capacité. Cet été, une dizaine de villages ont été obligés de recourir à des camions-citernes pour garantir la distribution d’eau à leurs administrés.

Castille-La Manche, l’une des quatre régions traversées par le Tage, a dénoncé la qualité douteuse du fleuve, qu’elle considère comme « pratiquement mort », à cause de la faiblesse de son débit. Les ingénieurs du gouvernement régional parlent d’eutrophisation pour définir ce processus de dégradation, dont les conséquences se traduisent par des odeurs de pourriture sur les rives et par l’apparition d’algues nuisibles et de mousses toxiques.

A cela vient s’ajouter que le Tage charrie une bonne partie des eaux usées de la communauté de Madrid et alimente également la rivière qui traverse la capitale, le Manzanares.

Depuis 2014, l’Espagne connaît une période de sécheresse prolongée, peut-être la pire depuis celle de 1995, souligne un rapport publié le 6 novembre par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) à l’occasion de l’ouverture à Bonn de la COP 23 (la conférence annuelle de l’ONU sur les changements climatiques).

« Politiquement trop compliqué »

« Maudit beau temps », titrait en « une » le quotidien conservateur ABC, le 7 novembre. L’été 2017 a été l’un des plus chauds des cinquante dernières années – il a fait 46,9 degrés à Cordoue le 12 juillet. Sur ces neuf premiers mois, la température moyenne en Espagne s’est située autour de 17,5 degrés, soit 1,2 degré de plus que la moyenne de référence (calculée entre 1981 et 2010), d’après l’Agence d’Etat de météorologie espagnole (Aemet). Le niveau des réserves d’eau dans tout le pays chute à un minimum national. Les bassins de retenue d’eau sont à 38 % de leur capacité.

Le Tage est également victime « d’une gestion de l’eau qui, en Espagne, n’a pas changé depuis les années 1960, comme s’il s’agissait d’un bien inépuisable », dénonce Miguel Angel Sanchez, porte-parole de l’Association de défense du Tage et de l’Alberche (un de ses affluents). « Madrid ne veut tout simplement pas reconnaître les problèmes, notamment celui du changement climatique, c’est politiquement trop compliqué », assure-t-il.

Le Tage, à travers deux bassins en amont (Buendia et Entrepreñas) et un gigantesque aqueduc de 292 km construit en 1979, alimente, plus au sud, le fleuve Segura, qui fournit en eau les provinces d’Alicante et d’Almeria, et surtout la région de Murcie. Celle-ci assure 30 % des exportations espagnoles de fruits et légumes, un secteur qui emploie 70 000 personnes, rapporte 5 milliards d’euros par an et qui est très mobilisé.

En raison de la sécheresse, l’aqueduc a été fermé provisoirement en juin, mais un transfert début octobre, qui n’avait pas été annoncé préalablement par Madrid, a mis sur le pied de guerre les vingt municipalités riveraines de Buendía et Entrepeñas, qui ont déclaré s’être senties « trahies » par la ministre de l’agriculture, de la pêche, de l’alimentation et de l’environnement, Isabel Garcia Tejerina, qui gère le dossier.

Quant aux agriculteurs du Sud-Est, ils prédisent un drame social si le manque d’eau empêche de satisfaire les besoins hydriques de la région. L’organisation patronale de Murcie, le Croem, qualifie la situation d’« intenable » et prophétise que la suspension des transferts « va mettre en danger toute l’agriculture ».

L’affaire est aux mains de la justice. « Nous avons présenté un recours devant le Tribunal constitutionnel contre les mesures prises par le gouvernement, explique Miguel Angel Sanchez. Nous voulons récupérer le Tage avant qu’il ne soit trop tard.

 

LE MONDE | 13.11.2017 Par Isabelle Piquer (Madrid, correspondance)