De l’Afrique du Sud à l’Asie, le trafic hors de contrôle des cornes de rhinocéros Accéder aux cartes

En 2017 plus de 250 élèves inscrits au Concours de Cartographie d’Actualité ont enquêté sur un vaste trafic de cornes de rhinocéros entre l’Afrique et l’Asie qu’ils ont ensuite cartographié …

 

 

De l’Afrique du Sud à l’Asie, le trafic hors de contrôle des cornes de rhinocéros

 

Cedric Coetzee n’est guère rassuré. Une de ses patrouilles de rangers vient de découvrir la 107e carcasse de rhinocéros depuis le début de l’année dans sa zone de surveillance. « C’est déjà 25 % de plus qu’à la même période en 2015, soupire le responsable anti-braconnage dans la province côtière sud-africaine du Kwazoulou-Natal. Nos parcs sont devenus des terrains de chasse, et ils sont de plus en plus nombreux. »

 

« Ils », ce sont les braconniers. Avec souvent le même mode opératoire. Ils pénètrent dans la réserve à la nuit tombée, de préférence au clair de lune, par groupes de trois ou quatre. L’équipement de ces locaux, parfois pieds nus, est rudimentaire : un fusil avec un silencieux pour abattre le pachyderme, une hache ou une machette pour arracher les deux cornes du museau, et des téléphones pour prévenir le complice à l’extérieur.
« Ils sont efficaces et imaginatifs, certains d’entre eux doivent être d’anciens soldats, avance Cedric Coetzee. Ils brouillent les pistes en marchant en arrière, en recouvrant leurs chaussures de chaussettes… »

 

Pour protéger la réserve nationale de Hluhluwe-Umfolozi, appréciée des touristes, le responsable vient de recevoir des Etats-Unis des jumelles de vision de nuit et des caméras thermiques. « On fait au mieux, mais la demande asiatique de corne est si forte et le business si lucratif qu’ils ne sont pas près de s’arrêter », estime-t-il.

 

Vertus médicinales

 

Un braconnier revend le kilo de corne à l’intermédiaire entre 5 000 et 6 000 euros selon plusieurs sources. La marchandise dissimulée est rapidement expédiée vers le Mozambique frontalier pour quitter le continent en bateau, ou vers l’aéroport international de Johannesburg.
Au Vietnam, en Thaïlande et en Chine, la corne du mammifère est revendue plus de 50 000 euros au marché noir, davantage que l’or ou la cocaïne. Une demande alimentée par la classe moyenne asiatique en expansion, friande de la poudre de corne à qui elle prête des vertus médicinales traditionnelles (fertilité masculine, guérison du cancer, etc.), non prouvées scientifiquement.

 

La protubérance n’est composée que de fibres de kératine, matière de l’ongle humain, dans laquelle sont aussi sculptés des objets d’art, devenus des signes extérieurs de richesse.

 

Au moment d’accueillir les 2 500 délégués et les 183 parties de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites), qui devait s’ouvrir samedi 24 septembre à Johannesburg, la ministre sud-africaine des affaires environnementales, Edna Molewa, peut toutefois présenter un meilleur bilan.

 

En effet, 702 rhinocéros ont été abattus cette année, contre 796 au même moment en 2015. « Notre stratégie de mieux coordonner et de concentrer nos moyens, en particulier dans le parc Kruger, commence à porter ses fruits », explique-t-elle.

 

Des militaires ont été déployés dans le joyau national, grand comme l’Etat d’Israël, en soutien des rangers. Une politique du bâton qui a un coût : plus de 200 suspects, souvent des frontaliers mozambicains, auraient été tués dans la brousse entre 2010 et 2015.

 

« S’attaquer aux barons »

 

L’Afrique du Sud abrite 80 % de la population mondiale de rhinocéros, soit environ 20 000 bêtes. Le nombre de naissances demeure supérieur à celui des morts, mais 6 000 rhinocéros ont été tués depuis 2007, et 2015 fut une année record (1 175).

 

Le parc Kruger devenant plus difficile d’accès, des mafias portent désormais leurs efforts ailleurs dans le pays, comme dans la province du Kwazoulou-Natal. Ou dans des pays frontaliers, au Zimbabwe et en Namibie, qui souffrent d’une recrudescence du braconnage.

 

« Une réponse uniquement défensive et sécuritaire n’est de toute façon pas viable à long terme car le problème est bien plus complexe, estime Julian Rademeyer, enquêteur pour l’ONG Initiative mondiale contre le crime organisé transnational et auteur du livre Killing For Profit (Zebra Press, 2012). C’est comme pour la lutte contre la drogue, il faut s’attaquer en priorité, non pas aux petites mains, facilement remplaçables, mais aux barons qui organisent le trafic depuis l’Asie. Aujourd’hui, ils sont intouchables en raison du manque de volonté politique des pays consommateurs. »

 

Des noms reviennent pourtant régulièrement dans des rapports d’enquête, avec des ramifications de réseaux qui s’étendent jusqu’en Europe. Il y a quelques années, des chasseurs tchèques avaient été spécialement embauchés pourrapporter des trophées de cornes à des acheteurs vietnamiens à l’occasion de chasses légales sur le sol sud-africain. Plusieurs musées français d’histoire naturelle ont également été cambriolés.

 

En Afrique du Sud, par trois fois, des diplomates vietnamiens ont été pris en flagrant délit de transport de corne de rhinocéros dans leurs bagages et véhicules, pensant qu’ils ne seraient pas fouillés. Juste avant le début de la conférence de la Cites, les autorités vietnamiennes ont réaffirmé leur volonté de combattre le trafic, illégal sur leur territoire.

 

« Lors de la précédente réunion de la Cites à Bangkok, il y a trois ans, elles avaient dit la même chose, mais ce fut vite oublié, regrette Colman O’Criodain, spécialiste du commerce d’espèces menacées chez WWF, le Fonds mondial pour la nature. Il faut une volonté politique claire pour que la loi soit réellement appliquée, mais l’élite achète aussi de la corne. » Les pays africains peinent aussi à convaincre la Chine, dont le poids économique est prépondérant sur le continent.

 

Corruption

 

Menées à coups de spots télévisés, avec des stars locales posant près de carcasses de rhinocéros dans le parc Kruger, les campagnes de sensibilisation ont un effet limité, faute de relais au plus haut niveau.

 

En Afrique du Sud, la corruption handicape la lutte contre le braconnage. Derrière les barreaux depuis la fin 2014, le principal responsable présumé du trafic de corne dans le Kwazoulou-Natal a échappé pendant des années à la justice malgré plusieurs arrestations. Des preuves disparaissaient subitement.

 

Des policiers et des rangers furent aussi pris la main dans le sac en possession illégale de cornes. Les services de renseignements sud-africains, mis à mal par des années d’interférences politiques et de mauvaise gestion, sont incapables de lutter contre le crime organisé.

 

Dans un pays où des réserves naturelles ont été créées par les Blancs aux dépens de populations noires, expulsées ou marginalisées de ces territoires, les efforts pour sensibiliser aujourd’hui les communautés locales à la protection des animaux demeurent indispensables. « Quelques programmes autour du parc Kruger ont été mis en place, mais c’est encore trop peu », estime Julian Rademeyer. Pour la jeunesse rurale, souvent pauvre et désœuvrée, la figure du braconnier est encore souvent considérée comme un modèle à suivre pour s’enrichir.

 

Pour les 330 propriétaires privés, qui possèdent un tiers du cheptel national de rhinocéros, la réponse au fléau du braconnage réside dans la légalisation du commerce de la corne. « Il faut fournir autant de cornes que possible aux consommateurs asiatiques, ce qui permettra d’assécher le marché illégal et d’avoir plus d’argent pour protéger les rhinocéros », insiste John Hume, plus grand propriétaire du monde avec ses 1 350 pachydermes dans sa ferme de 8 000 hectares.

 

Comme la plupart des autres éleveurs, il décorne chacune de ses bêtes tous les dix-huit mois lors d’une opération indolore menée en quelques minutes grâce à une flèche anesthésiante pour endormir l’animal et à une scie électrique. Initialement, il s’agissait de dissuader les braconniers, mais les fermiers veulent désormais exploiter ce produit qui repousse de cinq à dix centimètres par an, afin de financer les frais de sécurité, qui ont explosé ces dernières années. John Hume a déjà accumulé cinq tonnes. Un magot virtuel de 250 millions d’euros.

 

Levée du moratoire

 

Le gouvernement sud-africain a refusé de déposer une demande en ce sens lors de la conférence de la Cites, au contraire du royaume du Swaziland, qui réclame de pouvoir écouler 330 kilos de corne. Une requête qui n’a quasiment aucune chance d’aboutir, en raison de l’opposition de l’Union européenne, soutenue par les organisations de défense des animaux, qui craignent un accroissement de la demande.

 

Les éleveurs ont toutefois obtenu cette année la levée du moratoire imposé en 2009 sur le commerce sur le territoire sud-africain – le commerce international étant lui, banni depuis 1977 par la Cites. Pour quelle raison, alors qu’il n’y a pas de marché de consommateurs dans le pays ? « Avant 2009, des propriétaires vendaient leurs cornes d’animaux morts à des marchands, confie Pelham Jones, responsable de l’association des propriétaires privés de rhinocéros en Afrique du Sud. Nous fermions les yeux sur leur destination, même si nous nous doutions bien qu’elles étaient ensuite exportées illégalement vers l’Asie, c’était bénéfique pour tout le monde. »

 

Comme John Hume, il admet que certains propriétaires sont parties prenantes dans l’actuel trafic illégal de cornes vers l’étranger.

 

 

LE MONDE | 24.09.2016 à 07h37 | Par Sébastien Hervieu (Johannesburg, correspondance)

 

 

La carte du lauréat de cette édition, Emerick Le Goff, lycéen à Angers :